Faux départ !

Publié le par Luscyhl

 

Le passage à la prefecture de police. Commissariat ou encore plus simplement,  agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrants. Trois panneaux différents impliquant une bonne connaissance de la langue française pour savoir qu’ils mènent tous à Roms. (Blague pro entre copains flics) (Dans les vestiaires) (A s’amuser avec le taser)


L’endroit où tout commence. Non, je ne parle pas de vos projets. Un pied posé, un rêve perdu.

C’est la règle de la maison. Mais bien sur, du démarrage de la spirale infernale de l’immigration. Comme toute première fois, on est maladroits. C’est iciNon je ne crois pas, y’a rien de marqué - Ca a l’air d’être la quand même – Han y’a beaucoup de monde - J’espère que ça va aller viteNe t’inquiète pas, on a de l’avance avant l’ouvertureUne bonne heure et demi d’avance oui heureusement –C’est bizarre le mec là-bas a sa tente Quechua sur le dos. – Il a peut-être dormi ici ! -  Pfff n’importe quoi !  . . .

 

Deux rangs : première demande (200 personnes) et récépissé (7 personnes). Chacun prend sa tranchée ; à la main trieurs, classeurs, chemises cartonnées et intercalaires papier.  Prêt au combat. Certains s’épient, d’autres dorment déjà debout et, quelques femmes allaitent leurs enfants. Obligation formelle de représenter physiquement tous les membres de la famille. 10°C et pluie incessante. Les couches du bébé, de trois mois, de ma voisine risquent de payer le prix cher à vouloir prétendre à un titre de séjour sur le sol français.

La particularité de cette paroisse c’est que tout se passe à l’extérieur. Sans porche et sans assise. Ni machine à café, ni toilettes. Les uns sur les autres. La police veille au grain d’assurer une promiscuité étouffante. Deux policiers, puis trois, puis quatre nous surveillent. Trois policières à casquette américaine suffoquent dans leurs sifflets. La plus jeune décida de prêcher entre deux bouffées d’air On recule et on se ressert ! C’était bien tenté mais complètement à coté.

 

Par les grandes baies vitrées vous apercevez les confessionnaux. 5 comptoirs, 5 hôtesses, 5 policiers, une borne à tickets numérotés et un affichage numérique électronique. Avant cela, vous devrez attendre, debout et statique, neuf longues heures. Même pour aller voir du Picasso vous ne l’auriez pas fait. Le rythme commence fort : une personne toutes les quarante minutes. On a le temps de connaître la vie entière de nos voisins. Des australiens, une américaine, des chiliens et des roumains.


Les langues se délient : les précédents visas refusés et la vie de sans papier. La hantise de tous, devoir tout recommencer. Refaire de nouveaux documents, trouver les bonnes personnes et aux bons moments. L’étrange curiosité des plages horaires. Les structures indispensables à la réalisation de vos formulaires ont toutes des permanences décalées. Vous devez d’abord commencé par ce premier endroit demain matin avant de vous présenter au second. Vous croyez faire les deux en une journée ? C’était bien pensé. Mais les moyens pour vous décourager, ils les ont déjà imaginés bien avant vous.

Et les poings aussi. Un petit renard emprunte sciemment la seconde file des récépissés pour se glisser, aussi discrètement que possible, dans les premières demandes. L’erreur du débutant. Personne ne se connaît mais tout le monde sait parfaitement qui est  devant et derrière soi.  La fatigue des premiers (+ 3 heures) vole en éclat. Fracas de têtes contre les mirages en plexiglas. Chutes à effet « dominos ». Le cœur d’une femme dans la file d’attente parle Ne vous comportez pas comme des animaux, comme ils veulent nous le laisser croire. Les hommes s’arrêtent. La police a sévi, trop tard nous voila puni : les guichets seront fermés pendant une heure. On aperçoit les hôtesses, non mécontentes, d’une pause bien méritéeC’est pas vrai Nadine ?On se prendrait bien un petit café ? – C’est de pire en pire - Ils ne savent pas se tenir ces étrangers.

 

Nous voilà à « l’Intérieur ». Hey, y’a même des sièges plastiques. C’est encore mieux que ce que l’on avait imaginé. L’euphorie s’empare de nous. Enfin, sauf pour les cinquante dernières personnes. Il est 15 heures/dans une heure on ferme/l’heure c’est l’heure/y’en a ras le bol de faire des heures supp’/vous repassez demain/c’est pas urgent. Plusieurs femmes se mettent à pleurer et quelques hommes à jurer. Il appuie sur le bouton de la porte automatique, je m'en fous, j'’entends plus rien se dit-il.

Une hôtesse nous reçoit (il n’y a d’ailleurs bien que son nom d’accueillant). Après quelques longs soupirs, elle se décide à relever trois plis de son ventre graisseux pour se pencher vers le guichet. Qu’est-ce que vous voulez ? Comme à la boulangerie. Mais ici, on n’hésite pas entre pain au chocolat ou croissant. Tout le monde est venu pour la même chose : un titre de séjour. Nous allons alors droit au but. Nous nous hâtons de lui montrer l’ensemble des justificatifs, ressentant déjà l’irritabilité de notre agent. Faut montrer pattes blanches. Le  policier auprès de vous, prêt à dégainer au moindre faux pas, ne cesse de vous regarder avec lourdeur et insistance. L’absence de confidentialité garant d’une parfaite intimidation.   

Deux minutes chrono : je refuse d’enclencher la procédure de carte de séjour pour votre ami. Le sol s’effondre alors, vous aspirant avec lui au passage. Quelques justificatifs, oraux, abusifs. Après tout, la mégère peut vous raconter ce qu’elle veut, vous n’y connaissez rien. Elle fait glisser le passeport. Par chance il est tombé par terre. Le message est clair.


L’envie de tout casser vous prend. Votre voisin de comptoir vous vole la vedette. Un « enculé de flics » rempli de désespoir raisonne dans la pièce. L’élément perturbateur est immédiatement canalisé et évacué. L’hôtesse ne bronche pas. Probablement briefée par sa formation trimestrielle Gestion de l’agressivité au sein d’une préfecture de police et manquant cruellement d’humanité. Il y a de loin plus de générosité dans la culotte d’une prostituée. Pardon, je m’égare. Alors vous repartez comme ça. Comme vous êtes venus. Chacun reprend sa tranchée. A la main : trieurs, classeurs, chemises cartonnées et intercalaires papier. 

 

 

Française d’origine incontrôlable.

©Causette

Publié dans Sur la ligne blanche

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